Ce n'est pas tant le fait d'avoir trouvé ce dictionnaire d'un autre temps posé là dans un faux piano à l'extérieur d'un chapiteau de cirque que je retiens. Si au moment où j'enclenche la vidéo sur mon téléphone, seul le désir de fixer cette géographie d'un cirque bientôt sur le départ me pousse à filmer et si j'ignore qu'en marchant je vais tomber sur le dictionnaire, si même c'est cet imprévu que j'aime dans l'acte de filmer, cette ignorance de ce qui va intervenir au moment de la prise (comme le pigeon dans le parking du centre commercial l'autre jour), si l'excitation au fond est bien dans le déroulement inconnu de ce temps de filmer, ce que je retiens de cet instant c'est le bruit discret des pages tournées.
J'ignore d'où vient le phénomène: le bruit des pages qu'on tourne, que ce soit livre de poche ou gros dictionnaire, catalogue de jardinage ou syllabus de cours, a toujours provoqué en moi une envie de sommeil quasi instantanée. De là sans doute la torpeur qui a accompagné une partie de mes études secondaires. Enfant, lorsque j'accompagnais mon père, en période de congé scolaire, dans sa tournée de représentant de commerce en matériel électrique ou en quincaillerie et que je le voyais tourner les pages de ses catalogues pour faire l'article, j'étais comme hypnotisé tant par le geste de la main qui cherche la bonne page que par le son produit par cette recherche. Même si les pages étaient glissées comme cela arrivait parfois dans des chemises plastiques, l'effet se produisait et j'ai souvenir d'avoir quasi dormi debout ou assis à l'écart dans bien des magasins visités.
Pour un insomniaque comme moi, la présence d'une tourneuse de page à mes côtés se révèle donc comme le somnifère le plus efficace qui soit, et l'addiction qui en découle est des plus épanouissante.
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