« Elle ne s’est jamais plainte » dis-tu dans la voiture au retour de ta première opération de la cataracte à l’œil gauche. Tu le dis au sujet de ta mère qui a souffert d’un impressionnant zona un an avant sa mort. Tu me rappelles qu’elle a passé ses trois dernières années dans un petit appartement situé deux étages plus hauts que le tien. Il me faut plusieurs minutes, alors que je conduis sous une pluie énervée, pour que le souvenir s’éclaircisse. J’avais oublié ce studio où vivait ma grand-mère sur la fin de sa vie. Tu avais installé ta mère à portée d’ascenseur. Tu aimerais que j’en fasse autant. Il se fait que je n’habite pas un grand immeuble mais le rez-de-chaussée d’une maison de trois appartements. Les deux autres ne sont pas à moi et pas à louer.
Ton appartement dont tu paies le loyer aux filles de ton compagnon défunt est une grotte qui suinte l’amertume et le désespoir. D’avoir perdu ce compagnon jeune, de vivre d’une pension trop juste, de n’avoir pas eu de chance tout au long de ta vie dis-tu, toi qui a deux petits enfants magnifiques et adultes, qui n’a jamais connu le mot cancer, qui n’a jamais connu le mot chômage, qui a toujours eu un toit, même si aujourd’hui il te coûte cher et que de savoir cet argent destiné aux filles et à l’ex-femme de ton compagnon défunt te brûle le cerveau. On peut comprendre.Ma grand-mère ne s’est jamais plainte. Sans doute. Je ne sais pas. Je ne me souviens pas. Je n’ai pas été comme toi à ses côtés dans la douleur des derniers instants. Ce dont je me souviens, c’est de tes plaintes.
Tu t’es plainte de mon père. De sa passivité face au ménage. De ses cadeaux insipides à ton anniversaire ou à la fête des mères. De son âge. Vingt-quatre ans de plus que toi.
Tu t’es plainte du montant des parcmètres dans ma commune lorsque tu venais garder les enfants. De l’exiguïté de l’entrée de mon appartement. Du plafond trop bas. Du manque de lumière. De la paille dans la cour.
Tu t’es plainte des légumes qui n’ont plus le même goût qu’avant, de la viande qui n’est plus aussi tendre qu’avant, de maintenant qui est encore pire qu’avant.Tu t’es plainte du prix de l’électricité, de celui du gaz, des charges communes, des prix chez Delhaize, des chariots qui roulent mal.Tu t’es plainte des gens de l’immeuble qui. Des voisins d’en face qui. Du local-poubelle encombré par ceux qui. De ta belle-sœur qui. De moi qui.Tu t’es plainte des feuilles d’arbres qui atterrissent à l’automne sur ton balcon.Tu t’es plainte de la poussière qui se dépose dans la seconde qui suit le nettoyage. D’une goutte d’eau sur le plan de travail. D’une griffe sur une assiette. D’un verre mal lavé.Elle s’est plainte de son frère qui ne descend la voir que pour boire son whisky Elle s’est plainte d’un concombre qu’elle n’avait pas demandé qu’on lui achète Elle s’est plainte des bijoux que son compagnon lui offrait « alors que je ne demandais rien » Elle s’est plainte des semelles sommairement essuyées et qui risquaient de Elle se plaint des extraits bancaires qui n’arrivent qu’à la fin du mois Elle se plaint du bruit des travaux de renouvellement des terrasses Elle se plaint Elle s’est plainte Elle se plaindra
tu te plains de la solitude et quelque fois j’entends la solitude se plaindre de toije me souviendrai que tu te plaignaisde tout sauf de toi
les plaintes… le manque d'amour de soi que l'on cherche dans le regard des autres… dans l'oreille des autres… oui… j'aime toujours autant te lire, Claude…
RépondreSupprimerMerci Marlen.
SupprimerEt que tu me lises me touche. Je n'ai pas encore tout lu sur ton blog. Je t'embrasse
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