Et maintenant, maintenant que ces photos, en tout cas cette première série de photos, se retrouvent dans de grandes enveloppes brunes, toutes étiquetées d’un post-it - 1968, 1971 ou 1975 (rien au-delà pour le moment) - et au fond ces post-it ce n’est pas une bonne idée, ils se décollent dans la manipulation des enveloppes et un bout de papier collant sera nécessaire, indispensable (j’aurais dû écrire l’année à même l’enveloppe, c’est toujours faisable et pourquoi cette hésitation, comme si fixer une année était la figer), enveloppes qui empêchent de s’installer confortablement pour manger, il faut pousser un peu, éviter que le verre d’eau mais aussi de vin se renversent sur ce classement provisoire, sommaire mais qui permet au moins d’y voir un peu plus clair, d’ordonner sa tronche parmi celles des autres, de distinguer Noël 70 de Noël 72, anniversaire 71 d’anniversaire 74, vacances à Venise 70 de vacances à La Panne 69, maintenant donc, que faire de ce matériau, et ne parlons pas de ces photos sans date (et d’ailleurs la date imprimée sur le bord blanc - jun 70, nov 70, feb 71- n’est en fait que la date du développement et du tirage des pellicules et non la date de l’événement photographié puisque par exemple sont datées feb 71 des photos sur une plage ensoleillée, La Panne sans doute, ce qui montre que j’ai classé en 71 des photos de l’été 70, ce qui n’est pas logique, mais la logique en matière d’enquête sur une telle matière n’est pas un critère très pertinent, même si c’est un premier appui, bref passons), que faire de ce matériau, l’ordonner par mois, par thèmes (vacances, anniversaires, communion, repas), le répartir dans les petites pochettes soit cartonnées fournies par le magasin qui a développé – J. Geerts et fils, 18 rue du Lombard, 1000 Bruxelles -, soit en plastique, toutes vides et donc n’attendant que cela d’être habitées par des images de bonheur, de gens serrés les uns contre les autres, de spectacles enfantins, de déguisements de Zorro, de baignoires remplies de cousins cousines, de bougies soufflées sur de jolis gâteaux bien ronds, d’adultes dansant la mine radieuse, images convenues et indispensables, que faire de ce matériau, le laisser en attente d’autres pochettes de photos engoncées pour l’instant dans des boîtes non encore reçues de toi, que tu disais ne pas avoir, mais qui étaient bien sur la planche supérieure d’une garde-robe interminable, qui y sont toujours, que je voudrais bien recevoir (mais alors plus aucune photo ne serait chez toi), que faire de ce matériau alors qu’hier soir, entamant un livre d’Annie Ernaux que je n’ai pas encore lu (et Dieu sait comme j’aime cette femme, ce qu’elle écrit, comment elle l’écrit), lisant les premières ligne de Une femme, je tombais sur cette phrase : « Ma mère est morte le lundi 7 avril à la maison de retraite de l’hôpital de Pontoise, où je l’avais placée il y a deux ans. ».
Cette phrase, je l’écrirai peut-être dans quelques jours, quelques mois, quelques années.
Le 7 avril, curieusement,
est aussi une date de la perte d’un être cher pour moi.
Ce matin au courrier, d’autres livres d’Annie Ernaux commandés sur un site de livres d’occasion sont arrivés.
Tu n’as jamais lu Annie Ernaux.
Je ne suis pas sûr que tu aurais
aimé ça.
Bonjour, un atelier classement de photos et écriture avec Annie Ernaux qui regarde par-dessus l'épaule des écrivant.e.s. On a le droit de rêver. Dur dur moment que ce classement ou non classement parfois associé à l'arbre généalogique qui grandit, grandit... @ bientôt Danielle
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