dimanche 21 novembre 2021

Journal jusqu'au jour où... (parenthèse 3)






 

Tu ne m’as pas vu.

Mais je t’ai vu.

 

Je roule. Dimanche 15h.

Je vais animer un atelier d’écriture de l’autre côté de la ville.

Les rues sont occupées par les touristes et les visiteurs de musées.

Je roule et j’arrive sur la place où trône notre Palais de Justice.

Le mastodonte. Qui s’effrite.

La lumière est belle. La grande roue est en action. Attraction.

J’entame le rond-point.

Et je te vois.

 

Je crois d’abord voir mon père.

Sauf que mon père est plutôt petit et mort il y a vingt-trois ans.

Je te vois marcher voûté. Comme hagard.

Tes jambes sont légèrement fléchies.

Tes cheveux sont en nombre et blancs.

Tu as les mains glissées dans la poche de ta veste.

Je roule au pas et manque de percuter une voiture sortie d’un parking.

Je n’ai ni le temps ni l’espace pour garer ma voiture.

Je poursuis ma route.

Non, je refais le tour du rond-point.

Savoir où tu vas.

Vers les musées ? Vers la grande roue ? Vers les petites rues en contre-bas ?

Je voudrais m’arrêter.

T’arrêter.

Te demander pourquoi tu n’as pas répondu à mon sms au printemps dernier.

Le seul que je t’aie envoyé depuis qu’on a inventé les téléphones portables.

Le seul.

Je te vois disparaître dans la petite foule. Seul.

Je roule. Seul.

 

En te voyant, j’ai vu mon père.

En toi mon père.

En toi mon père et moi.

En toi. Moi.

Moi avec dix-sept ans de plus.

Moi marchant voûté hagard main dans les poches.

Moi seul dans la septantaine.

Moi parmi la petite foule.

Moi je crois que tu es seul.

Je crois que nous sommes seuls.

 

Vivre dans la même ville sans jamais se voir ni se parler.

Et être d’un même père.

 

Tu ne m’as pas vu.

Mais je t’ai vu.

 

Et j’ai vu notre père.

Espérer toujours que tu réapparaisses.

Et voilà que ce dimanche tu réapparais devant moi.

Pour disparaître.

 

Tu ne m’as pas vu.

Tu ne me verras jamais.

Tu mourras avant. 

Avant que le hasard des rues et des ronds-points ne nous mette face à face.

Ou moi.

 

Je roule. Dimanche 15h.

Je vais animer un atelier sur les liens.

 

PS: J'ai tapé ton nom dans Google, onglet images. Rien. Sauf quelques photos de moi ou de spectacles que j'ai montés ou joués.

 

Sur Google, toi c'est moi.






 

2 commentaires:

  1. Poignant, remuant, beau. "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier".

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