toi silencieusetoi t'appuyant sur chaque dossier de chaise, chaque portion de meuble à ta disposition sur ton parcourstoi éparpillant mille petits papiers sur la grande table de salle à manger, tickets de caisse, notices de médicaments, toutes-boîtes publicitaires, listes de coursetoi cherchant le chemin pour ton regard entre des cheveux épars auxquels plus aucun coiffeur n'arrive à imposer une tenuetoi appuyant au hasard sur plusieurs touches de ton téléphone parce que tu as cru entendre un appel ou recevoir un messagetoi dans le silence de toitoi épluchant laborieusement la peau de tous les légumes dans la crainte d'on ne sait quelle maladie imaginairetoi fixant l'écran de télévision outrageusement coloré à cause du décor orange et bleu derrière les candidats du jeutoi rinçant jusqu'à la transparence absolue les bouteilles de vin blanc et les pots de confiture pour que je les jette dans la bulle à verretoi triant durant des heures des quantités de petits objets encombrants que ton compagnon t'a laissés à sa mort il y a presque 20 anstoi dans le rien du silence et dans l'attente de touttoi pestant sur l'écriture illisible du médecin qui d'ailleurs ne répond jamais quand tu lui téléphones et auquel tu reproches tant de choses comme à tout le mondecomme à la voisine qui laisse ses chaussures sur le paliercomme au concierge qui avait dit qu'il passerait mais n'est pas venucomme à ton frère qui habite au-dessus et avait dit qu'il passerait mais n'est pas venucomme à ta nièce qui habite à côté et avait dit qu'elle passerait mais n'est pas venuecomme au compagnon de ta nièce qui est certainement un voleur et ne doit plus jamais venircomme à ton compagnon décédé qui amassait tout et n'importe quoi dans ses armoires, agrafes, détergents, cordes, outils, cahiers, adhésifs, crayons, alcools, ampoules, classeurs, etc comme on ditcomme à tes petits-enfants qui n'avaient pas dit qu'ils passeraient parce qu'ils ne t'appellent jamais de toute façoncomme à moi qui ne t'aurais pas appelé après le passage du médecin alors que oui je t'ai appelée vers 21 heures, heure à laquelle le vin blanc fait son office empêchant toute discussion suivie, tout propos cohérent, toute articulation clairecomme à la vie qui est toujours là injuste avec toi comme elle l'a toujours été dis-tu silencieusementtoi là silencieuse
les chaises silencieusesla voisine silencieusel'orange et le bleu silencieuxle concierge silencieuxles épluchures de légumes silencieusesle frère silencieuxles tickets de caisse silencieuxla nièce silencieuseles petits objets encombrants silencieuxle compagnon décédé silencieuxles cheveux épars silencieuxles petits-enfants silencieuxle téléphone silencieuxle médecin silencieuxle vin blancl'attentemême le silence est silencieux quand il se tait de n'avoir plus grand chose à vivreje suis silencieux du silence que tu as gardé, sachant probablement très bien ou pressentant ou devinant outon silence détournant le regard est mon regard se détournant de ton silencenous sommes notre silence
Je suis saisie par le silence .... par la tristesse.....par la solitude incompressible, incrédible, incohérente, incroyable mais vraiment ressentie à l'infini des heures....je compatis.
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