mercredi 31 août 2022

Journal jusqu'au jour où... (dialogue 1)


Préambule : cette forme dialoguée est un emprunt et un hommage au livre "Enfance" de l'immense autrice qu'est Nathalie Sarraute.






- Alors tu vas vraiment faire ça? "Ecrire sur ta mère" Comme ces mots te pèsent. Tu ne les aimes pas. Ils ne sont pas justes. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui te viennent. Tu veux "évoquer ta mère", c'est bien ça?

- Oui, ça me tente.

- Ça te tente? C'est tout?

- Non, ce n'est pas de l'ordre d'une simple tentation, disons... disons...

- Ce n'est pas juste un exercice d'écriture? Un besoin de poster ta petite écriture quotidienne sur les réseaux?

- Mais non! Pourquoi dis-tu ça?

- Parce que tu postes chaque fois le lien vers le texte que tu viens d'écrire.

- Oui, c'est vrai, mais c'est pour partager...

- Partager quoi? Ton désarroi? Tes talents d'auteur?

- Je me fous de mes talents d'auteur. Là n'est pas la question.

- Alors que cherches-tu à partager qui soit si important?

- Rien.

- Mais si, comprends que je cherche à comprendre.

- Comprendre quoi? Moi-même je ne comprends pas grand chose à ce que j'écris alors... enfin pas "à ce que j'écris" mais pourquoi je l'écris et pourquoi telle ou telle forme...

- Peut-être partages-tu pour que le regard des autres ...

- Le regard des autres tu sais, je m'en...

- Allons, allons, tu t'en fous?

- Oui, enfin, non bien sûr... mais oui, je me fous du regard ou du jugement des autres.

- Alors, donc, pourquoi partages-tu ce que tu écris dès que tu as écrit un fragment de texte ou un chapitre ou je ne sais pas comment tu veux qu'on appelle ces "morceaux"...

- J'aime bien "fragments". Je partage pour... pour disons...

- Oui?

- Pour ne pas garder le texte pour moi. Pour ne pas revenir dessus, m'en débarrasser...

- Mmmm

- Quoi ? Ç'est pas une bonne raison?

- Peut-être partages-tu pour que le regard, non pardon pas le regard, le ... le partage, oui c'est ça, le partage avec les autres t'éclaire?

- Je ne veux pas être "éclairé" comme tu dis, je ne cherche pas à sortir de la brume ou du brouillard dans lequel je vis depuis 58 ans. Absolument pas. Ça te va?

- Un peu quand même...

- Quoi "un peu quand même"?

- Tu cherches à sortir "un peu" du brouillard dans lequel...

- Non, je ne pense pas... Ecrire ne solutionnera rien. 

- Oh mais je n'ai pas mentionné le mot "solution"...

- Bon, que veux-tu que je te dise? 

- Ce n'est que sur ta mère que tu veux écrire?

- Pas seulement. Sur mon père aussi. Sur mes enfants. 

- Et sur ton demi-frère?

- Oui forcément, si j'écris sur mon père, je vais écrire sur mon demi-frère.

- Tu pourrais omettre son existence puisque tu ne le vois pas.

- Si! Je l'ai aperçu l'an dernier devant le Palais de Justice.

- Oui mais tu ne le vois jamais, jamais seul à seul, vous n'avez pas de contact, je veux dire...

- Oui, c'est juste. La dernière fois qu'on s'est parlé, c'était quelques semaines avant la mort de mon père...

- De votre père...

- De notre père, oui... En 1998.

- Ça va faire 25 ans...

- 25 ans... oui.

- Donc, tu écris, tu vas écrire sur lui aussi...

- Je vais écrire sur lui, sur le mystère qu'il représente, sur son choix de couper les liens avec notre père, alors que quand j'étais enfant, les liens semblaient encore là puisque je le voyais, que j'allais chez lui et sa femme les mercredis après-midi...

- Tu as des photos de son mariage non?

- Exact. Et des photos où je suis sur les genoux de son épouse Martine qui est décédée récemment.

- Martine, cette dame que tu as rencontré en mars dernier? 

- Oui. Et que je n'avais plus vue depuis plus de 40 ans.

- Pour revenir à ta mère, tu aimerais qu'elle lise un jour ce que tu écris sur elle?

- Certainement pas. Elle serait outrée que je parle d'elle en ces termes, que je la présente sous un jour parfois peu agréable. Elle s'est toujours estimée modèle, martyre et victime... alors que...

- Alors que?

- Alors qu'elle a, je crois, enfin il me semble avec le recul, après tant d'années d'incompréhension et de conflits, qu'elle a plutôt été  du côté du bourreau que de la victime...

- Et toi?

- Moi? 

- Tu te présentes aussi comme victime des fois dans tes textes non?

- Franchement, sincèrement, je ne pense pas... enfin si, peut-être... peut-être. Tu sais, si c'est pour me dire ça...

- Attends je n'affirme rien, je pose une question. Je te pose une question, dans le simple but d'éviter tout manichéisme.

- J'ai envie de boire un coup. Pas toi?

- Si.




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