De cela non plus nous ne parlerons pas.
De ce choc et des émotions qui ont suivi nous ne parlerons pas.
De ce choc et des émotions qui ont suivi nous ne parlerons pas.
Comme de tout ce qui touche aux émotions, nous ne parlerons pas.
N'avons jamais parlé.
Les émotions des autres n'existent pas, à moins d'être le voisin ou la voisine malade, handicapé.e pour laquelle ce n'est vraiment pas facile tu sais elle souffre c'est terrible il n'a jamais eu facile il est courageux ça me fait de la peine quand je le croise dans l'ascenseur
De ce moment où constat est fait que la tombe a été enlevée, qu'il y a désormais une pelouse à la place de toutes ces tombes des dernières années avant notre 21ème siècle, un espace vide pour de nouveaux morts, de ce moment où je crois perdre mes jambes et mon cerveau et mon coeur, mais où, présence de mon fils, je m'oblige à tête froide garder, de ce moment où je touche la mort par son absence, il aurait été bon de partager le vertige.
Mais de cela nous ne parlerons pas.
Peut-être pourrait-on en parler de manière pragmatique :
Où sont les papiers de la commune?
La concession n'était pas de 25 ans?
Tu n'as pas reçu un courrier qui demandait si on voulait prolonger?
Il est mort une seconde fois je t'aurais dit.
Tu l'as tué une première fois et l'administration l'a tué une seconde fois et entre les deux mon corps balance.
Les émotions des proches n'existent pas.
Je n'ai pas eu d'émotion en proposant à un de mes fils d'aller sur la tombe de son grand-père.
Je n'ai pas eu d'émotion en me garant devant le cimetière où je n'avais plus été depuis un an.
Je n'ai pas eu d'émotion en y emmenant un de mes fils qui n'y avait plus été depuis le Covid.
Je n'ai pas eu d'émotion en pensant qu'il était important de réunir les trois générations de temps en temps.
Je n'ai pas eu d'émotion en ne reconnaissant pas les allées.
Je n'ai pas eu d'émotion en revenant sur mes pas, en cherchant la bonne allée, en comprenant, à force de tours et détours dans le fond du cimetière, que la tombe n'était plus là, qu'une herbe verte de novembre attendait ses prochains occupants.
Je n'ai pas eu d'émotion et c'est pour cela que nous n'en parlerons pas.
Etre disponible un peu, beaucoup, parfois, souvent, soudainement, peu importe, mais être disponible. Dans le cercle proche, le premier cercle - et nous savons comme il se réduit à peau de chagrin chez nous - on s'attendrait à un peu, même pas beaucoup, même pas parfois, juste un peu de disponibilité, d'attention aux émotions, ces deux mots qui riment et qui cependant, voguent souvent à la dérive dans notre océan familial.
Mais il y a tant de sollicitations aujourd'hui. Et quand il n'y a pas de sollicitations, soi-même devient sollicitation permanente, si permanente que l'autre...
L'autre est là.
On le sait.
C'est rassurant.
Le rôle est occupé.
Les actes sont actés.
Les émotions sont ravalées.
L'autre est là.
Qui attend
Qui a toujours attendu.
Qui n'attend plus.
Combien de temps encore à errer dans ce désert d'attention?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire