lundi 6 février 2023

Journal jusqu'au jour où ... / 33

 





Ne pas y aller. Ne pas y aller un jour. Reprendre ses activités suspendues depuis dix jours. Ne pas y aller. Respirer. Voir des gens. Des autres. Ne pas leur en parler. Des inconnus. De vagues connaissances. Ne pas y aller sans culpabiliser. 

Que le travail se poursuive. Ateliers à préparer, à animer, répétitions, brochures à lire, mails à envoyer. Ne pas y aller. Prendre le train à la place et suivre une formation théorique sur le récit de vie. Justement. Le récit de vie. Dimension temporelle de l'existence. Capacité narrative en tant que fonction humaine. Hier, par mail, la structure du cours de ce lundi. 

Le point 17 : "On fait de la vie une histoire pour pouvoir la saisir." 

Ne pas y aller et tenter de ne pas y penser tout le temps. Savoir que les heures sont interminables à souffrir et que l'imaginer ou se mettre à la place n'est pas même possible. La souffrance ne se quantifie pas, ne se partage pas et toute empathie ou compassion qu'on puisse avoir, impossible de réaliser dans sa chair ce qu'est la souffrance. 

Et celle de se sentir haper par la mort est au-delà de l'imaginable.

J'ignore à quoi elle pense toute la journée. Comment sa pensée vibre, s'égare, se rattrape, stagne, s'éteint, repart, chute, se regarde penser. Se regarde oublier. 

De quel souvenir à quelle angoisse passe-t-elle, de quelle douleur à quelle sensation? Regarde-t-elle ses bras décharnés couverts de taches bleues et bardés de bandages? Vos veines sont coriaces hein madame disait le jeune infirmier qui dut s'y reprendre à quatre fois avant-hier. La manche de son pyjama est parsemée de sang. Deuxième lavage de la semaine. Les taches s'estompent. Mais ne disparaissent.

De la chambre du 6ème étage, on voit tout Bruxelles. Elle n'en voit rien. Le dehors n'existe plus. La pensée est une cellule. Son corps est une cellule. La chambre aussi. 

Ne pas y aller. Se protéger. Ne pas se croire invincible. Le reconnaître. Accepter un jour de relâche. De lâcheté peut-être. 

Un jour avec d'autres images, d'autres sons. Capter les atomes de vie partout. Respirer de partout. Réouvrir ses propres pensées vers le monde extérieur. Sortir de sa propre cellule.

 

 



 

 

2 commentaires:

  1. Parole de l'autre : tout prévoir, tout imaginer même l'inimaginable, faire le tri dans ses affaires, mettre en évidence dans un tiroir les codes des comptes en banque, les codes d'accès au GSM, à l'ordinateur , aux dernières volontés , au nom du notaire qui a en dépôt le testament authentique, le document de non-acharnement thérapeutique, le formulaire de demande d'euthanasie, le nom de la personne de confiance, le contrat avec les pompes funèbres pour une incinération et une dispersion des cendres sur la pelouse publique . Et puis un petit mot d'amour pour chacun, les 2 fils, les 2 petits-fils, les autres petits enfants encore dans l'enfance, une petite-fille et un petit-fils, une lettre d'amour pour l'ex-mari , parti suite au divorce depuis 35 ans mais qui occupe toujours le coeur et les sens , et aussi une lettre amicale et bienveillante pour la personne de confiance . Et PAS de lettres pour les PAS belles -filles , pas gentilles !! J'ai dit.

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  2. nécessaire pour mieux y aller autre jour

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