lundi 26 février 2024

INTERPHONO / Journal / Épisode 1

 

Le projet INTERPHONO BRUXELLES est lancé.

Partenariat entre une compagnie à Madrid (Drifttheater), une compagnie à Gennevilliers (Nonumoï) et une compagne à Bruxelles (La Tricoterie), le projet INTERPHONO est un projet sonore et théâtral qui rassemble plusieurs axes d’exploration avec des habitants : interroger les vies de ces habitants dans leurs habitudes, leurs ressentis, leurs parcours, leurs désirs d’avenir au sein de leur quartier.

Au travers d’ateliers théâtre, d’ateliers d’écriture, de récoltes de paroles dans la rue, de portraits sonores d’habitants dans leur lieu de vie, le projet s’avancera sur 2024 pour permettre la réalisation de podcasts, de photos et d’écrits, ainsi qu’une création théâtrale en avril 2025 à La Tricoterie, création qui se joindra à celles venues de Gennevilliers et Madrid,  aussi proposées à La Tricoterie en avril 2025.

L’équipe bruxelloise est constituée de Xavier qui coordonne le projet et connaît le quartier comme sa poche, Inès à la production, Dimitri qui fera la prise de son et le montage des portraits sonores, Ana, comédienne et moi. Ensemble, nous réaliserons les entretiens, les ateliers, les portraits sonores. Plus tard, au départ de tous ces matériaux, nous écrirons la création théâtrale pour 2025. Nous sommes bien sûr en contact avec les autres équipes de réalisation et notamment Delphine Salkin et Zoé Tabourdiot pour Gennevilliers, déjà très avancées dans le travail et la réflexion. Delphine a déjà présenté une esquisse théâtrale à Gennevilliers fin janvier.

A Bruxelles, nous sommes au début de l’aventure. Quelques réunions jusqu’à présent.

Mais aujourd’hui, les premières rencontres dans le quartier sont organisées.

Nous basculons dans le concret.

Episode 1

Xavier a fait une première liste de personnes du quartier, soit qu’il les connaisse personnellement, soit que quelqu’un lui ait parlé de quelqu’un qui… L’essentiel est évidemment d’avoir une diversité de parcours de vies, d’origines et de générations.

Aujourd’hui, il est prévu de passer chez la boulangère Marleen, chez le couple de pharmaciens, Fatima et Jamal, et chez Bintou qui travaille pour l’association Femmes Santé. L’intention aussi  de contacter le collectif La Voix des Sans Papiers, installé dans les bâtiments de l’ancienne Clinique Antoine Depage.

 

 

Nous entrons chez la boulangère, Marleen, qui nous accueille avec le sourire, nous invite à nous asseoir à une des tables de sa boulangerie qui fait snack aussi. Une employée travaille derrière le comptoir pour servir les clients. Poignées de main et échange des prénoms. Marleen nous propose un café, mais personne n’en prend. La rencontre peut commencer.

Marleen est d’origine néerlandophone, a ouvert son commerce avec son mari en 1987. Xavier lui présente le projet, centré sur l’enregistrement sonore et non pas la vidéo, donc pas d’images, les questions que nous aimerions développer avec elle, sa vie,  son expérience du quartier, comment elle l’a vu évoluer, ce qu’elle voit de sa fenêtre, un objet important à ses yeux, etc. Elle nous parle de son mari, qui travaille à l’arrière, auquel elle doit demander l’autorisation pour que nous venions dans leur appartement réaliser l’entretien proprement dit, un temps d’une heure et demi environ.  Elle demande si on lui posera des questions pour le portrait parce que sinon Je vais faire zig-zag dans tous les sens. Elle rit et s’excuse presque de ne pas bien parler français, alors que, franchement, elle le parle très bien avec une pointe d’accent absolument savoureux. Nous la rassurons sur le fait qu’on peut réaliser le portrait dans les deux langues et que c’est même une idée qui nous plaît. Elle conclut en rappelant qu’elle doit d’abord en parler à son mari mais elle semble vraiment partante. Des choses sur le quartier, elle en a à raconter.

En sortant, nous prenons la direction des locaux de Femmes-Santé pour rencontrer Bintou. Femmes-Santé se situe dans un bâtiment qui héberge plusieurs associations. Une fois sur place, nous montons au premier étage, demandons à gauche à droite après Bintou. Une dame, tasse de café en main, large sourire, aperçoit le matériel d’enregistrement de Dimitri et lance C’est moi la star! Nous finissons par trouver Bintou au rez-de-chaussée, souriante elle aussi sous sa casquette en laine. Poignées de main et échange des prénoms. La dame à la tasse de café repasse par là et sourit à Bintou en disant C’est toi la star

Bintou a été prévenue de notre arrivée et nous propose de la suivre dans une salle de réunion. Une grande table ovale autour de laquelle on se répartit. Bintou est animatrice culturelle pour le comité des femmes. Elle connaît Xavier parce qu’elle a fait partie, à deux reprises, du projet théâtral Les Liaisons joyeuses mené par Frédérique Lecomte et Xavier. Celui-ci présente le projet, lui propose de faire partie de la série de portraits. Bintou écoute tout cela positivement. Après l’accueil de Marleen, celui de Bintou est de bonne augure. Si c’est essentiellement Xavier qui parle, Dimitri et moi intervenons aussi pour une précision, un enthousiasme à partager. Un lien à créer.

Xavier évoque le bâtiment de la Voix des Sans Papiers, notre envie éventuelle de pouvoir faire le portrait de l’un.e ou l’autre. Bintou appelle sur le champ Apollinaire qui gère ce lieu d’accueil provisoire, lui parle du projet, suggère qu’on le rencontre et nous voilà en route pour l’ancienne Clinique Antoine Lepage qui est donc le lieu temporaire de la Voix des Sans Papiers.

 


Dix minutes plus tard, Apollinaire nous accueille à l’entrée du bâtiment. Poignées de main et échange des prénoms. Dimitri, Xavier et moi avons été dans cette clinique à l’époque où elle était en activité. Etrange sensation que ces couloirs vides. Apollinaire nous reçoit dans sa chambre, son lieu de vie.

Une fois encore, Xavier présente le projet, notre désir d’incorporer dans la série de portraits, des habitants même en situation de précarité totale. Apollinaire, lui aussi, accueille nos intentions positivement. Nous sommes rejoints par Christopher, un des autres habitants du lieu. Il écoute l’échange. Apollinaire parlera du projet autour de lui et rappelle que chaque histoire, chaque personne qui vit là est singulière et qu’il faudra toujours respecter le désir ou non des un.es et des autres de participer au projet. En quelques mots, Apollinaire résume la situation épouvantable dans laquelle leur vie se déroule. La veille encore, il a été en contact avec des instances politiques et n’en est pas revenu rassuré. Avec Apollinaire, nous convenons qu’il nous recontacte quand il en aura parler autour de lui.

 


En sortant, nous revenons vers La Tricoterie, passons à la boulangerie du coin pour voir si le patron Hassan est disponible. Il n’est pas là. C’est donc vers la pharmacie que nous allons. Fatima arrive en même temps que nous et nous invite à entrer. Nous passons derrière le comptoir, où Jamal sert les clients, pour aller vers un petit salon attenant à la réserve. Fatima, qui se présente comme une fonceuse, écoute avec ferveur l’exposé du projet, s’emballe à l’idée que l’on s’intéresse aux habitants du quartier. Le couple mixte qu’elle forme avec Jamal (Maroc et Tunisie), leur situation face à la place de Bethléem, les habitants qu’ils finissent par connaître, en font des personnes précieuses pour le projet.

En partant, Dimitri prend quelques ambiances sons de l’arrière de la pharmacie comme il l’a fait pour les couloirs vides du bâtiment de la Voix des Sans Papiers.

Après deux heures de rencontres riches et souriantes, nous revenons à La Tricoterie, enchantés de la tournure prometteuse de cette première matinée d’échange avec quelques habitants. Le lien est amorcé.

Parallèlement à nos démarches, Inès met en place le contact avec certaines associations pour diffuser l’information sur les ateliers Raconte-moi ton quartier qui se tiendront à partir du mois d’avril et s’occupe des affiches et flyers qui informeront du projet.

L’aventure est en marche.



mercredi 24 janvier 2024

Gestes et usages # 2 : la mobilité des autres

 


Vient un moment, on ne marche plus. Ou plus beaucoup. Ou si difficilement qu’on ne peut plus appeler cela de la marche. Juste une progression désarticulée, centimètre par centimètre, souffle par souffle, tête penchée sur ses faibles progrès ou ses pénibles avancées. Viennent les séances où l’on vous soutient sous les aisselles et par la taille, quelques fois deux hommes robustes, quelques fois un homme svelte et une femme souriante et tous deux, presque en chœur, se fendent d’un Voilàààà, c’est bien, c’est de mieux en mieux. Et vous voici gambadant sur leurs mots comme si, en vingt minutes, toute la sclérose de la vie s’était évanouie, grâce à votre tenacité, votre refus de l’âge, votre fierté retrouvée. Cela se passe sous le regard défait de celles et ceux qui ne se lèveront plus jamais, bassin, hanches, fémurs, genoux, rotules, chevilles, désormais vissés à la chaise roulante. Cela se passe sous le regard émerveillé de celles et ceux qui attendent leur tour pour être accompagnés sous les aisselles et par la taille. Qui attendent leur tour de piste pour être applaudis à l’issue des exploits qui s’annoncent, des instants de bravoure qui trépignent, aussi imperceptibles soient-ils.

On s’appuie sur la mobilité des autres pour encourager la sienne à se manifester. Ce n’est pas compétition, on n’en est plus là, mais dignité collective à rétablir. On s’échangerait volontiers les pièces les moins usagées de la mécanique tant les sourires des uns réchauffent les grimaces des autres. On forme sans le savoir un peloton qui s’épaule, s’entraîne sur les routes du succès, fait corps pour gagner en vitesse et souplesse. Personne ne fera la course en solitaire, personne ne jouera des coudes, nulle échappée, nulle victoire écrasante. Rien qu’une équipe qui s’échine à rester soudée, à défier la ligne d’arrivée collectivement. D’ailleurs, il n’y aura pas de podium après la ligne blanche. Juste un prochain rendez-vous en fin de semaine pour s’y remettre, pour secouer tendons, ligaments, articulations, cartilages et tissus qui le voudront bien. On entendra à nouveaux des Voilàààà, c’est bien, c’est de mieux en mieux et cela sera comme la première fois, la première séance funambule et douloureuse lorsqu’on vous a obligé à vous extraire de votre siège alors que, si cela n’avait tenu qu’à vous, vous auriez attendu la mort entre le cabillaud trop cuit et le flan trop sucré.

La prochaine fois, elle essaiera le vélo. Elle pédalera à son rythme, une voix dans la machine lui dira Bravo, des chiffres cligneteront sur un petit écran qu’elle ne détaillera pas. Car c’est la voix qu’elle préfère. C’est à la voix qu’elle marche. A la voix que ses membres réagissent. A la voix qui encourage, rassure, félicite. A la voix qui la prend dans ses bras, même si les progrès se font attendre, même si vendredi est plus épuisé que lundi et qu’en définitive, elle sait qu’il ne s’agit que de sursauts provisoires. Peu importe. La voix la pousse à marcher. Alors elle marche.


Atelier François Bon / Tiers Livre

D'après Jean Échenoz "Courir


Gestes & usages # 1 : le modèle d'une vie

 


A cause de la couleur qui devait se trouver sur un vase, peut-être rempli de fleurs, sur un meuble, peut-être teinté au brou de noix, sur un tableau, peut-être représentant un sous bois à l’automne, sur un coussin, peut-être bleu ou ocre et posé sur le canapé gris, sur une statuette, peut-être un cadeau d’amis revenus du Tyrol, sur une tenture, un tapis, un napperon, un prospectus publicitaire, une bouteille de limonade, la vie s’écoulait sur le modèle d’une vie de famille standardisée. Mais derrière ces couches de peintures, manuelles ou imprimées, végétales ou artisanales, on cherchait à se protéger des éclats de voix, des lamentations répétitives, des insultes quotidiennes, des portes qui jurent, des repas qui se taisent, des mots qui menacent, des gestes qui provoquent. On s’inventait alors des couleurs d’aventures mystérieuses, à cheval dans l’ouest américain ou aux commandes d’un sous-marin improbable. On sautait à pieds joints sur des comptoirs d’épicerie, on mangeait des bonbons en chantant avec un petit singe sur une balancelle, on signait d’un Z tous les murs qu’on croisait. On se colorait de tout pour ne plus jamais rien devoir à personne.


Atelier François Bon / Tiers Livre

D'après Annie Ernaux "La Honte"



mercredi 29 novembre 2023

Ma vie avec Jekyll et Hyde - notes / 2

 


Où comment, dès la première phrase, dès le premier chapitre, 

Stevenson nous parle d’une société malade de l’entre-soi . 

 





 

« Mr. Utterson the lawyer was a man of a rugged countenance, that was never lighted by a smile; cold, scanty and embarrassed in discourse; backward in sentiment; lean, long, dusty, dreary, and yet somehow lovable. » 

Robert-Louis Stevenson

La première phrase du 1er chapitre « The story of the door. » et quatre traductions différentes:

« M. Utterson le notaire était un homme d’une mine renfrognée, qui ne s’éclairait jamais d’un sourire ; il était d’une conversation froide, chiche et embarrassée ; peu porté au sentiment ; et pourtant cet homme grand, maigre, décrépit et triste, plaisait à sa façon. »

Traduction de Théo Varlet.

« M. Utterson, notaire de son état, était un homme austère que jamais n’éclairait le moindre sourire ; froid, le verbe rare et embarrassé, conservateur par conviction, maigre, long, poussiéreux, sinistre, et pourtant attachant à sa manière. »

Traduction Charles Ballarin

« Mr. Utterson,  notaire, avait un air rébarbatif que n’éclairait jamais le moindre sourire. Il parlait avec une concision froide, et sans aisance ; ses sentiments étaient lents à s’extérioriser ; efflanqué, long, poussiéreux, triste, il savait néanmoins se rendre sympathique. »

Traduction Robert Latour

« M. Utterson, avoué de son état, était un homme au visage sévère qu’aucun sourire n’éclairait jamais. D’où venait cependant la sympathie qu’il inspirait malgré son aspect froid, renfrogné, son élocution embarrassée, et son long corps morne et maigre ? »

Traduction Charles-Albert Reichen

 


·   On l’a compris, le notaire Utterson est un homme réservé, peu enclin à sourire. Et cependant, il nous est possible de le trouver sympathique. Et c’est parce qu’il nous est sympathique, « lovable » malgré tout, que nous allons le suivre dans son enquête/témoignage au sujet de son ami Henry Jekyll. Sans sympathie pour celui qui mène l’enquête, point d’adhésion possible. Soyons donc ami avec Utterson.

·  Car l’amitié est au cœur de l’œuvre de Stevenson. L’amitié entre hommes qui boivent des bons vins, mais aussi l’amitié avec soi-même ou avec l’autre soi-même. D’une certaine manière, Stevenson nous propose d’être aussi « un ami », d’être compréhensif, d’accepter ce qui va nous être raconté. Mais pour cela, il va falloir que nous acceptions de suivre Utterson dans un monde uniquement masculin. Un monde « embarrassé ». 

·   Dans le testament que Henry Jekyll confie aux bons soins de son ami le notaire Utterson, Henry Jekyll évoque une forme d’amitié avec Edward Hyde (nous ne savons pas encore à ce stade-là que Jekyll et Hyde sont un seul et même individu), une amitié où Jekyll prétend devoir protéger Hyde auquel il porte un intérêt tout particulier. On verra que si Jekyll se veut comme un ami pour Hyde, il n’en va pas de même pour Hyde qui détruira cette « amitié », qui prendra le dessus sur Henry Jekyll en étalant au grand jour ses pulsions refoulées. Hyde, tout meurtrier qu’il soit, aura au moins le mérite de révéler une société malade de ses démons, une société qui va à sa perte, à sa fin. Le dernier mot du dernier chapitre du texte original est d’ailleurs « end ».

·     Dans le premier chapitre, on nous dit du notaire Utterson que « Envers ses semblables (…), il faisait preuve d’une indulgence sans limites, s’émerveillant même parfois de l’extraordinaire énergie qu’ils dépensaient pour commettre leurs méfaits. Et, en toute extrémité, il était tenté de secourir plutôt que de censurer. » Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde , d’une histoire d’hommes qui se protègent entre eux, entre amis, d’une loi du silence purement masculine où l’amitié est double elle aussi. Elle est convivialité et bons vins d’un côté et elle est silence et complicité de l’autre. L’amitié est en bonne santé et en même temps malade. En cela, le texte de Stevenson n’a pas pris une ride.

·   Ce n’est pas seulement Utterson qui est « sinistre, poussiéreux, triste, froid, conservateur, embarassé… », c’est toute la société victorienne qui l’est. Et si Utterson peut dégager malgré tout une forme de sympathie, ce n’est qu’aux yeux de ses amis, de ses « semblables». Dès le premier chapitre, ce que nous dit Stevenson, c’est que nous sommes au cœur d’une société de l’entre-soi, un entre-soi que seul un monstre viendra perturber, mais un monstre venu de l’intérieur-même de la société, du corps-même de Henry Jekyll. La société ne fabrique pas un monstre. Elle est le monstre. Elle est la maladie. Le monstre, c’est  l’entre-soi.  Là non plus, le texte de Stevenson n’a pas pris une ride.




dimanche 26 novembre 2023

Ma vie avec Jekyll et Hyde - notes / 1

 


Robert-Louis Stevenson en 1985, année de l'écriture du texte.


·      Si Fanny Stevenson, épouse de Robert-Louis Stevenson, a vraiment rejeté la première version écrite par son mari, poussant celui-ci à brûler la première ébauche, l’amenant à retourner écrire pendant trois longues journées dans sa chambre, il existerait donc deux versions du Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde, une double version, l’une disparue dans les flammes, consumée, noircie et l’autre, consommable, éclaircie.

·    Était-elle plus dérangeante ? Trop dérangeante ? Trop liée aux excès de jeunesse de Robert-Louis ? Trop émaillées de révélations autobiographiques ? Était-elle plus longue, plus courte ? Racontée selon d’autres points de vue ? Y avait-il un personnage féminin dans ce texte où, en tout cas dans celui que nous connaissons, les seules femmes mentionnées sont les victimes de Edward Hyde ?

·      Cette première ébauche serait comme le « laboratoire » du texte, sa version détruite car trop explosive. La seconde version serait la version « officielle » du texte, publiable, résultat de recherches dont nous n’aurions pas à connaître la teneur, la composition, peut-être la dangerosité.

·    Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde s’avère dans sa conception-même une œuvre double, construite, puis détruite,  puis reconstruite, une œuvre à double entrée, à l'opposé l'une de l'autre, comme la demeure du Dr Jekyll qui comprend son entrée officielle (le lieu de vie), accueillante, notable et son entrée officieuse (le laboratoire), sulfureuse, inavouable. On entre par l'une ou par l'autre. Impossible de franchir les deux seuils en même temps.

·   Toute sa vie, Robert-Louis Stevenson a souffert de graves problèmes pulmonaires, changeant, dès l’enfance, de maisons pour fuir l’humidité, cherchant à la montagne des solutions pour respirer mieux et espérant trouver, durant les cinq dernières années de sa vie, dans les îles Samoa un climat plus propice. Pas de chance, le climat tropical humide n’améliorera en rien sa santé fragile. Il y décèdera.

·   Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde est une œuvre étouffante, qui ne respire qu’à moitié, où l’on ne respire qu’avec un seul poumon à la fois. Comme s’il y avait le poumon Jekyll et le poumon Hyde, ne pouvant fonctionner en même temps pour aller vers la vie. C’est une œuvre malade, amputée. Une œuvre qui se ronge elle-même, s’essouffle, s’épuise à tenter de retrouver l’entrée officielle de la demeure/vie. Sans y parvenir, que du contraire.

·      Savoir que nous ne saurons jamais ce qu’il y avait dans cette première version est tout a fait réjouissant.