mercredi 23 novembre 2016

L'attente / 11. Vers le ciel.






C’est en arrivant en haut des marches qu’elle a réalisé, l’attente, qu’elle était enfin arrivée en bas. Elle s’est retournée, a baissé les yeux et constaté ce qui restait à monter. Après une courte pause, un peu d’eau de pluie dans le gosier, elle a repris en sens inverse et cheminant tout en descente, elle a réalisé qu’elle s’élevait petit à petit. Toujours décidée, elle a progressé tête levée vers le ciel et s’enfonçant toujours plus dans les creux de l’ascension, elle en a perdu tout sens de l’orientation.

Ne lui restait alors qu’à s’asseoir pour un temps infini et à contempler l’horizon qui s’étendait du bout de ses pieds au sommet de son crâne. La nuit venue, se confrontant à une obscurité complice, elle s’est remise en route dans d’autres directions, confondues les unes aux autres et, des larmes plein le regard, elle a enfilé les mètres, les moments, les vides, les obstacles, avec une pugnacité qui force l’admiration.

Il pleuvait toujours et, ne se laissant jamais assécher, elle s’est enivrée, l’attente, de cette liberté si rudement gagnée.

dimanche 20 novembre 2016

Le Ion.




Comme il a bon le Lion qui mange l'ordinateur, surtout la lettre L.

Ne garde que l'I, l'O,l'N.
Et Ion devient par la force de la mâchoire.

La savane s'étonne et entonne la rumeur.
D'autres bestiaux avides de changement d'identité quêtent le repas informatique.
Jours et nuits et autres périodes de laps de temps sont dévolues à cette chasse.
Écrans, claviers et disques durent occuper les lieux avant la vague.

Le Ion quant à sa personne allégée digère les fragments du L et baille indifférent.

Sourd soudain le bruit qui déferle à nouveau sur les territoires tannés.
Des milliers de paires d'oreilles n'en croient pas leurs yeux.
Un flot plus abondant encore s'écroule comme chié des continents.


Joie indescriptible des gueules repues et des estomacs hilares.


La giafe renaît du manque d'R.


L'eleant recrache son P et son H.


La gazee frétille des deux L justement vomis.


Le srpnt siffle mieux que le voici débarrassé de ces E redondants.


Tous appellent de leurs vœux vagues et vagues de déchets et que ne s'interrompe jamais le mouvement impulsé par le Ion, roi de la avane qui elle-même vient de changer son S en excrément poussiéreux.

dimanche 13 novembre 2016

L'attente / 10. Variations 2





La patience attend.
Le ticket attend le patient.
Le patient attend son tour.
La pipe attend Simenon.
Le tunnel attend sous la manche.
La raison attend son cœur.
La bière attend la mise.
La file attend l'indienne.
Le contrôleur attend main tendue.
La haine attend la peur.
La jungle attend Tarzan.
Le costume attend le rôle.
Le rôle attend l'extrait.
L'extrait attend d'être choisi.
Le diaphragme attend le rire.
L'opinion attend le consensus.
L'arrêt attend provisoirement définitivement c’est selon.
Le futur attend avec consternation.
La foi attend la profession.
Le pneu attend l'éclatement.
Le singe attend l'hiver.
Brest attend le tonnerre.
Le loup attend la lune.
La victime attend le bourreau.
La vérité attend d'être révélée.
Le miel attend le rhume.
La grue attend par-dessus tout.
Le phare attend vaguement.
La glace attend la fonte.
La joie attend l'hymne.
La force attend de constater.
L'agneau attend le silence.
La corde attend guindée.
Sébastien attend parmi les hommes.
Le générique attend de défiler.
La surface attend de planer.
L'aventurier attend que ça se calme.
Le grenier attend qu'on veuille bien se souvenir de lui.
Le parachute attend l'ouverture.
Le sommeil attend les yeux fermés.
L'insomnie attend en ricanant.
La vie attend le coeur battant.

samedi 5 novembre 2016

Nature. Lecture. Ecriture.



Nature.
Lecture.
Ecriture.

En retard de tout partout oui.

Il me faut la nature comme nourriture quotidienne oui.
Il me faut la lecture comme expérience salutaire oui.
Il me faut l'écriture comme chemin d'oxygène oui.

Dans une journée, tout faire pour opérer un détour par un parc (pas trop aménagé si possible), un morceau de forêt voisine, promesse de fascination renouvelée oui, à chaque pas.

Marcher pour lire le temps et le monde, en tout cas ce que je souhaite en voir, ce que j'arrive encore oui à en supporter.

Marcher pour fuir la marche de masse aveugle et oui suicidaire.

Marcher pour oublier la mort urbaine et s'inventer monde, si pas meilleur, différent oui, monde de sens où les éléments sont à leur juste place, ni plus ni moins, au cœur d'un processus réellement collectif, maillons d'une chaîne qui unit passé, présent et futur, la vie oui.

Marcher dans les clichés? Apaisement des sous-bois, émerveillement d'un peuple de champignons sur un souche en décomposition, torpeur des rayons solaires qui traversent les feuillages, la nature attend et travaille oui à son rythme et s'y fondre, s'y confondre, s'y perdre et s'y retrouver. Oui cliché. Si bon.

Nature, lecture, écriture.

Ces temps-ci, impossibilité d'arpenter encore la ville devenue ce qu'elle est, lieu d'errance et de bruit, de saleté et de destruction oui.
A l'approche du projet qui me verra plonger dans "Walden ou la vie dans les bois" de Henry-David Thoreau pour en faire un spectacle, tout simple oui sans rien, dans le dénuement, j'ai eu la tentation de retourner vers les écrivains qui ont ancré leurs récits au cœur d'une nature rude, belle et indomptable.
J'ai repris Robert-Louis Stevenson et lu "Les Gais Lurons" où la tempête déchaînée au large de l'île d'Aros entraîne un homme dans la folie et la démence.
Je suis revenu à Jack London, plus jamais lu depuis l'enfance, et dévoré "L'amour de la vie", où un homme s'épuise à marcher dans la rudesse de l'Alaska sous le regard affamé d'un loup squelettique.
J'ai entamé ce matin "Elysée, avant les ruisseaux et les montagnes" de Thomas Giraud, dont le premier chapitre déjà m'a captivé, pour découvrir la personnalité d'Elisée Reclus, ce géographe libertaire, auteur de "L'homme et la terre", dont je ne connais rien oui.

Je marche.


jeudi 3 novembre 2016

L'attente / 9. En toute connaissance de cause.



25 ans nous séparent. Environ. On ne connaît pas très bien son âge.
Il entre dans l'oubli de sa vie, de ses repères, de la clarté des choses et du monde.
Il parle peu, la télévision est son lavage quotidien.
Aujourd'hui, en plus de cette maladie, on lui en diagnostique une autre, étendue, répandue, nulle hésitation semble-t-il. Elle s'est multipliée dans son corps, a quitté un organe pour en rejoindre d'autres dans un grand partage indésirable.
Il ne s'est pas soigné, n'a pas fait de suivi lorsqu'il y a dix ans, la chose est apparue. Dix ans plus tard, la chose a fondé une famille et occupe le terrain.

Chez moi, la même chose, identiquement logée, s'observe à intervalle bi-annuel.

Rythme de vie à la recherche de pulsion de vie suffisamment forte.

Il nous faudra bien disparaître un jour, de notre existence, de notre corps, de notre avenir.
Une fois les premiers signes francs de cette disparition, nous n'avons d'autre choix que de marcher avec elle, en toute connaissance de cause (et de ces effets, pas sûr), alors autant se mettre à siffler pour alléger cette marche.

Sa fille, sur sa page Facebook, au retour de l'hôpital a écrit ceci:

"Lui il s'en fout, il siffle.
Ses oreilles se sont bouchées. Il a laissé pousser des oliviers dedans.
Il chante en turc dans le métro bondé...il se rappelle des temps inconnus de nous.
Il a dit aux docteurs "Alzheimer, moi? Pas du tout! Cancer? des conneries!"


La maladie attend. Je l'attends. On s'attend.