samedi 13 mars 2021

Journal jusqu'au jour où... 15

 



 

Ton frère vient d’appeler. 
Il parle de toi, plus jeune d’un an que lui, comme d’une vieille femme qui perd la tête.

Il dit
que tu as regretté qu’il fasse froid dans sa voiture qu’il sortait du garage alors que la tienne est toujours à bonne température, il a rétorqué qu’il fallait que le moteur chauffe, que c’était normal, tu as rétorqué à ton tour que la tienne était toujours chaude

Il dit
qu’il t’a proposé de faire tes courses dans un magasin Aldi, tu as répondu que tu préférais Okay, mais il n’y en avait pas sur la route entre l’hôpital et votre immeuble puisque que vous êtes voisins, toi au quatrième, lui au cinquième, alors vous avez été chez Aldi, tu as acheté tout ce qu’il te fallait, tu as regretté qu’il n’y ait pas la marque de vin rouge en cubis que tu achètes habituellement, il t’a convaincu de prendre une autre marque, il y a tellement de choix, et ce matin quand tu m’as téléphoné, tu as déjà mis en doute la qualité de ce vin

Il dit
qu’à l’hôpital où il t’accompagnait pour évaluer le résultat de l’opération des deux cataractes, tu as présenté au chirurgien des médicaments qui n’avaient rien à voir, que le chirurgien s’est un peu agacé du temps que tu lui prenais et qu’il a fini par isoler ton frère sur le côté pour s’étonner de ton état confus et du ton agressif qui est le tien

Il dit
qu’il voit bien que tu ne vas pas bien, que tu oublies et confonds tout, que tu es triste, que tu as fait fondre un pot en plastique dans ton four, qu’heureusement que ta cuisinière ne fonctionne pas au gaz, qu’il savait comme moi que tu avais repris ta voiture dans la semaine pour faire des achats alors que tes jambes sont si faibles et ton attention si réduite

Il dit
que pour tes prochains rendez-vous médicaux, il ne sera pas forcément libre car il s’occupe aussi de ceux de sa femme et des siens, et de sa voiture qui doit aller au garage, et, et, et
 
Il ne dit pas qu’à trois vous avez 252 ans.
Il ne dit pas que cela l’atteint.
Il ne dit pas qu’il faudra trouver des solutions.
Il ne dit pas qu’il aimerait me voir. 
Il ne dit pas que je devrai trouver des solutions. 
Il ne demande pas si cela m'atteint.

 

 
Qu’il m’appelle pour la deuxième fois en un mois 
alors que nous nous sommes croisés cinq fois en vingt-cinq ans 
qu’il croie bon de me rappeler sur la messagerie 
qui il est par rapport à toi 
Marcel le frère de ta maman Lily 
comme si je ne connaissais pas ton prénom ni le sien 
est le signe d’un gigantesque ratage familial 
dont tu es le centre 
désolé de le redire.




2 commentaires:

  1. Je pense à Jean-Luc Lagarce en te lisant… Aussi fort… J'ai lu et relu. J'entends des voix de comédiens… je vois un décor nu… tu y penses ? (de quoi je me mêle !)

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  2. Lagarce... J'avais monté un de ses textes (Règles du savoir-vivre...) Je n'y pense pas non. Besoin que cela devienne un projet littéraire, même si jamais publié, sauf ici Pour soi et pour quelques lecteurs/lectrices. Mais si je crée un maison d'édition, ton livre et le mien seront les deux premiers.

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