mardi 30 août 2022

Journal jusqu'au jour où ... 25

 





toi silencieuse

toi t'appuyant sur chaque dossier de chaise, chaque portion de meuble à ta disposition sur ton parcours
toi éparpillant mille petits papiers sur la grande table de salle à manger, tickets de caisse, notices de médicaments, toutes-boîtes publicitaires, listes de course
toi cherchant le chemin pour ton regard entre des cheveux épars auxquels plus aucun coiffeur n'arrive à imposer une tenue
toi appuyant au hasard sur plusieurs touches de ton téléphone parce que tu as cru entendre un appel ou recevoir un message

toi dans le silence de toi

toi épluchant laborieusement la peau de tous les légumes dans la crainte d'on ne sait quelle maladie imaginaire
toi fixant l'écran de télévision outrageusement coloré à cause du décor orange et bleu derrière les candidats du jeu
toi rinçant jusqu'à la transparence absolue les bouteilles de vin blanc et les pots de confiture pour que je les jette dans la bulle à verre
toi triant durant des heures des quantités de petits objets encombrants que ton compagnon t'a laissés à sa mort il y a presque 20 ans

toi dans le rien du silence et dans l'attente de tout

toi pestant sur l'écriture illisible du médecin qui d'ailleurs ne répond jamais quand tu lui téléphones et auquel tu reproches tant de choses comme à tout le monde
comme à la voisine qui laisse ses chaussures sur le palier
comme au concierge qui avait dit qu'il passerait mais n'est pas venu
comme à ton frère qui habite au-dessus et avait dit qu'il passerait mais n'est pas venu
comme à ta nièce qui habite à côté et avait dit qu'elle passerait mais n'est pas venue
comme au compagnon de ta nièce qui est certainement un voleur et ne doit plus jamais venir
comme à ton compagnon décédé qui amassait tout et n'importe quoi dans ses armoires, agrafes, détergents, cordes, outils, cahiers, adhésifs, crayons, alcools, ampoules, classeurs, etc comme on dit
comme à tes petits-enfants qui n'avaient pas dit qu'ils passeraient parce qu'ils ne t'appellent jamais de toute façon
comme à moi qui ne t'aurais pas appelé après le passage du médecin alors que oui je t'ai appelée vers 21 heures, heure à laquelle le vin blanc fait son office empêchant toute discussion suivie, tout propos cohérent, toute articulation claire
comme à la vie qui est toujours là injuste avec toi comme elle l'a toujours été dis-tu silencieusement

toi là silencieuse 
les chaises silencieuses
la voisine silencieuse
l'orange et le bleu silencieux
le concierge silencieux
les épluchures de légumes silencieuses
le frère silencieux
les tickets de caisse silencieux
la nièce silencieuse
les petits objets encombrants silencieux
le compagnon décédé silencieux
les cheveux épars silencieux
les petits-enfants silencieux
le téléphone silencieux
le médecin silencieux
le vin blanc 
l'attente 

même le silence est silencieux quand il se tait de n'avoir plus grand chose à vivre

je suis silencieux du silence que tu as gardé, sachant probablement très bien ou pressentant ou devinant ou 

ton silence détournant le regard est mon regard se détournant de ton silence

nous sommes notre silence



 


1 commentaire:

  1. Je suis saisie par le silence .... par la tristesse.....par la solitude incompressible, incrédible, incohérente, incroyable mais vraiment ressentie à l'infini des heures....je compatis.

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