mardi 8 août 2023

et vous marchez mieux




 


C'est l'histoire d'un moi. Ce moi est loin de chez lui. Il ne sait pas comment il est arrivé là. Il a dû rouler quelques centaines de bornes dans un état dit second. Mais il est là. Il y a la mer. Du sable. Des gens. Du vent. De la pluie. Beaucoup de pluie. Dans ses membres, ses organes, ses cellules aussi. Beaucoup de pluie qui ne demande qu'à pleuvoir.

Ce moi est en bord de mer, en bord de pluie, pour bosser. Partager ce qu'il aime. Ce qui le transporte. Les mots des autres qu'il admire. Des mots qui l'épaulent. L'aident à tenir un cap. Lequel il ne sait pas. Mais un cap. De là d'où il vient, des choses, des gens, des instants sont en train de s'éteindre. 

Chaque jour il avale des cafés après des nuits approximatives. Il y a du vent qui fait grincher le toit. Du sable sur les draps. De la pluie un peu partout. Sur les rues, les réverbères, les voitures, les gens. Dans son intérieur, pareil. Beaucoup de pluie, donc, qui ne demande qu'à pleuvoir. Mais pleuvoir n'est pas simple.

Chaque jour, l'air de rien, il prend un moment pour écrire. Il n'a trouvé que ça pour tenir le cap. Lequel il ne sait vraiment pas. Mais un cap. On verra bien où la navigation le mène. 

Chaque jour, il parle avec des gens. Il rit. Il blague. Il boit du café. Parfois un verre de vin. Il ouvre des livres. Il lit. A voix haute pour des gens. A voix basse pour tenir son cap. Pourtant, il sent que la pluie de l'intérieur commence à lui susurrer qu'il serait bon de pleuvoir un bon coup, histoire de ne pas finir la coque retournée par les bourrasques qui s'accumulent.

Un soir, il se rend dans une église. On y organise un concert. Un compositeur, une cantatrice et un choeur. La veille, il a vu une vidéo d'un concert avec cette cantatrice. Déjà elle lui a retourné les poils. Pour accéder à l'église, on traverse un cimetière. Il sent que ça ne va pas être simple. D'abord ces tombes lui font de l'oeil. Ensuite, il sent que cette voix, ces voix qu'il va écouter, ça va comme lui ajouter des bourrasques aux intempéries incessantes. D'ailleurs, il le formule à la personne qui marche à côté de lui. Il ne la connaît pas depuis longtemps. Pas grave. Il la prévient qu'il se pourrait qu'il ne tienne pas tout le concert et que, peut-être, si ça le remue trop toutes ces voix, il sortira de l'église.

Dans l'église, le cul posé sur un banc qui lui achève les vertèbres lombaires, il sent la pression monter. Le choeur fait son apparition suivi de la cantarice et du compositeur et du silence. Et ça commence.

Le compositeur s'installe au piano, la cantatrice respire. Une première note surgit, une deuxième et c'est parti pour la grâce absolue pendant une heure. Seulement, on le sait, la grâce, ça ne laisse pas indifférent et voilà que lui aussi, ce moi loin de chez lui, sent que ça va surgir de lui. Et ni une ni deux, il se met à pleuvoir depuis ses cellules, ses organes, ses membres. Plus rien ne peut empêcher ce flot continu et chaque nouvel air, chaque chant, chaque voix qui s'ajoute aux autres, chaque silence entre les chants, tout vient le faire pleuvoir. Il a l'impression que tout le monde le regarde, lui demande pourquoi ça pleut comme ça, alors qu'une heure plus tôt, ça blaguait. 

Mais non, personne ne le regarde. L'assistance a plongé dans cette grâce absolue que le choeur, la cantatrice et le compositeur partagent avec intensité. La seule personne qui semble remarquer ses épaules qui se voûtent, sa tête qui fixe le sol et son écharpe qui lui sert de mouchoir improvisé, c'est la personne à côté de lui, celle à laquelle il avait avoué sa crainte de ne pas tenir durant tout le concert. Et voilà que cette personne qu'il connaît à peine, il devine qu'elle accepte sans gêne aucune que ça pleuve à côté d'elle, que ça pleuve beaucoup, que ce soit comme une moisson d'émotions qui semble sans fin. Et voilà que lui, ce moi loin de chez lui, n'arrive même pas à sortir et aller se faire pleuvoir dehors parmi les tombes. Non, il reste là sur ce banc qui lui fait mal au cul, il laisse pleuvoir car que faire d'autre. 

Simplement, à coté de lui, il sent que ça l'accueille, que ça lui dit vas-y mon gars, pleuve un bon coup, sors-les tes bourrasques, plonge dans ce trop plein de grains qui risquaient bien de te transpercer la coque. C'est une invitation discrète mais solide à être soi fragilement. Alors, il continue à faire pleuvoir ses organes, ses cellules, ses membres et à inonder son écharpe.

La personne qu'il connaissait à peine, c'est comme si elle l'avait pris dans ses bras, qu'elle lui avait ouvert coeur et choeur. Presque comme si elle avait décidé pour lui que ça pleuve et peut-être même que cela pleuvait chez elle aussi. Qui sait.

A la fin du concert, les portes de l'église se sont ouvertes et il y avait un beau coucher de soleil. On aurait dit une mise en scène d'opéra. Il est sorti, s'est retrouvé comme tout le public parmi les tombes. Dans l'air, une densité rare murmurait aux morts que la vie peut être belle et inconnue.

Il y a de ces inconnues qui vous chamboulent un voyage. Et sans doute une vie. 

Qui vous dessinent un cap. Lequel on ne sait pas. Mais un cap. Même fragile.


La terre, l'océan se sont retournés sous vos pieds et vous marchez mieux.






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