jeudi 12 mai 2016

Père.



Au réveil, le sentiment de vide est plus puissant encore que la veille. La nuit a été chaotique. Difficile d'empêcher le cerveau de faire surgir moments forts et anecdotes tendres d'un parcours de six ans environ aux côtés d'un homme dont on réalise (au sens où on nomme clairement) qu'il a été un père et que vingt ans plus tard, son accent, sa voix, sa dégaine vous ont accompagné au quotidien en toute discrétion. Le revoir au hasard d'une rue le mois dernier a confirmé cela, cette importance capitale dans votre chemin d'être humain avant même que celui d'artiste. Cela fait pile vingt ans donc que, sur ses encouragements, j'ai arrêté d'être son assistant pour foncer vers quelques propositions et aventures de mises en scène qui se présentaient ailleurs. J'emportais dans mes bagages huit spectacles vécus à ses côtés, comme assistant chaque fois, comédien et adaptateur une fois.
Une des choses les plus fortes que je retiens aujourd'hui, c'est qu'il m'a ouvert à la singularité de chacun de ses complices de travail, avec cet art si juste de faire éclore le talent de ceux qu'il avait choisis, comédiens, scénographes, éclairagistes... Que de comédiens magnifiques, toutes générations confondues, j'ai rencontrés grâce à lui. En dresser une liste complète est vain - et pardon pour ceux qui ne sont pas mentionnés - mais dans le désordre de ma tristesse ce matin, je revois d'abord Frédéric Latin (l'autre maître) et Nicole Valberg. Mais aussi Francine Blistin, Julien Roy, Suzanne Colin, Pierre Dherte, Francis Besson, Jules-Henri Marchant, Thierry Lefèbvre, Jacques Viala, Stéphane Excoffier, Gérald Marti, Françoise Gillard, Michel Israël, Jaoued Deggouj, Valérie Marchant, Christian Crahay, Danièle Denie, Luc Van Grunderbeek, Benoît Verhaert, Circé Lethem, Olivier Thomas, ...
Et puis les auteurs rencontrés Christopher Hampton et Tom Stoppard... et l'invitation à venir le voir à Paris où il a bossé avec Didier Sandre et Anny Duperey et se retrouver à table avec ceux-là à manger des côtes d'agneau... et tous ces bouquins qu'il offre aux premières et c'est lui qui me mène vers la lecture de Stevenson, Conrad, James, London...
Plus tard, travaillant avec Philippe Volter, je me souviens que déjeunant avec Philippe, il s'est mis à me poser mille questions sur la manière de procéder d'Adrian. Il m'était impossible de répondre très concrètement tant sa pratique s'exerçait avec légèreté, je n'y voyais aucune méthode hormis une attention acérée aux infinis détails du comportement humain. Avec un respect donné à chacun, sachant que chaque comédien fonctionne différemment et c'était peut-être là son immense talent.
Plus tard aussi, à la mort de mon père, Adrian m'appelle et juste quelques mots au téléphone suffisent.
 
Adrian était impressionnant de cocasserie et d'intelligence, de malice et de bienveillance.
Ce matin je me sens orphelin mais riche de tout ce qu'Adrian m'a transmis.


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